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| Sujet: La souffrance, obstacle principal à la sainteté selon la théologie catholique Sam 23 Déc 2023 - 21:04 | |
| La souffrance, obstacle principal à la sainteté selon la théologie catholique
La souffrance a toujours été perçue dans la tradition catholique comme l’un des obstacles majeurs sur le chemin de la sainteté et plus largement, de la vie spirituelle. Cette perception s’enracine dans notre psychologie profonde, qui associe naturellement souffrance et difficulté. Pourtant, comme le montre le document analysé, cette association cache une méconnaissance du problème spirituel réel auquel l’homme est confronté.
Introduction
Dans notre imaginaire, la souffrance fait immédiatement figure d’épreuve à surmonter ou à endurer avec courage. Les vies des saints ne cessent de nous montrer des exemples de grandes souffrances physiques ou morales endurées avec constance dans la foi. Cette aura de noblesse concédée à la souffrance explique sans doute partiellement le désir de souffrance manifesté par certains mystiques catholiques.
La souffrance semble ainsi occuper une place centrale dans l’univers catholique, au point d’être perçue comme le principal obstacle sur le chemin escarpé de la sainteté. Tel est du moins le postulat implicite que partage notre « psychologie à tous », selon le document source. La persévérance dans la foi malgré l’épreuve douloureuse est vue comme le critère décisif de la fidélité religieuse.
Pourtant, le texte invite à déplacer notre perspective sur ce point. La souffrance ne saurait constituer le problème spirituel central auquel l’homme, à l’instar de l’ange, est confronté dans son choix éternel. Une analyse plus fine de la nature de notre épreuve terrestre s’impose pour révéler où se situe véritablement la difficulté.
I. La souffrance perçue à tort comme principal danger spirituel
Dans notre approche spontanée de la vie spirituelle, nous projetons sur le plan surnaturel les schémas de perception hérités de notre psychologie profane. Or celle-ci envisage naturellement la souffrance comme le signe d’une difficulté et d’un danger.
1. La souffrance, Critère de difficulté dans notre psychologie L’association entre souffrance et difficulté est pour nous une évidence. Nous jugeons communément de la difficulté d’une tâche, d’un défi ou d’une épreuve en fonction de l’intensité de souffrance qu’elle suscite ou requiert. Un exploit sportif sera d’autant plus méritoire qu’il demande efforts, sueurs et larmes.
Cette grille de lecture s’étend naturellement au domaine spirituel. Tout se passe comme si la souffrance était l’indicateur le plus fiable pour évaluer la difficulté d’une vie sainte. Ainsi, plus un saint est réputé avoir enduré de tourments et de peines morales au cours de son existence terrestre, plus sa sainteté nous apparaîtra éminente et admirable.
2. La crainte de la souffrance, principal obstacle perçu Par voie de conséquence, la perspective d’une telle souffrance ne peut que rebuter notre nature. Si la sainteté requiert de surmonter de telles épreuves crucifiantes, il est compréhensible que beaucoup renoncent par avance à un objet si douloureux.
C’est là le nœud du problème selon le texte : « C’est là où depuis toujours je fais [...] déplacer si possible la manière dont nous craignons d’avoir du mal à être fidèle ». En effet, tant que nous envisageons la fidélité religieuse à travers le prisme de la souffrance, celle-ci ne pourra qu’être perçue comme un obstacle majeur, « sinon le principal obstacle ».
Qui voudrait s’engager allègrement sur une voie semée d’épines et de pierres tranchantes? Si le Christ lui-même, modèle achevé de sainteté, a dû endurer le calvaire avant de monter au ciel, qui suis-je pour prétendre m’y rendre par le chemin fleuri des délices?
II. La nature véritable de l'épreuve spirituelle
Une analyse approfondie de la psychologie humaine et angélique révèle cependant que la souffrance n’est pas le problème central. Elle masque un tout autre défi, bien plus troublant, auquel sont confrontées les créatures devant opérer leur choix éternel.
1. Une épreuve commune aux anges et aux hommes L’auteur nous invite à élargir notre perspective en considérant l’épreuve primordiale vécue par les anges lors de leur création. Bien qu’immatériels, ceux-ci ont dû faire face au même type de choix crucial entre salut et perdition. Or les anges ne connaissent pas la souffrance physique ni la faiblesse de la chair. Leur tentation ne saurait donc résider dans ce domaine.
Pourtant, un danger immense planait sur leur destinée éternelle et ce péril fut loin d’être conjuré, comme en atteste la Chute d’un tiers de ces esprits. Il existe donc un défi spirituel commun à l’ange et à l’homme, dont la souffrance ne saurait rendre compte. C’est dans la nature de cette épreuve partagée qu’il nous faut chercher la racine du problème.
2. La rencontre effrayante de l'infini Ce à quoi ange et homme sont in fine confrontés, c’est au mystère même de l’infini divin, dans ce qu’il a de débordant et d’« excessif » pour toute créature. Car l’amour de Dieu est sans limite et sans mesure. Or cet excès d’amour risque tôt ou tard de nous apparaitre comme une véritable folie, une ivresse brûlante où notre être menace de se dissoudre tout entier.
C’est alors que surgit la peur, sous la forme d’une tentation presque physique de dire « trop ! », « assez ! ». L’infini nous effraie, car il échappe à toutes nos catégories, transcende tous nos repères. Qui pourrait sans trembler se jeter dans un tel océan de flammes?
III. La souffrance métamorphosée par l'amour
Une fois ce péril fondamental identifié, la souffrance change de nature et de sens. D’obstacle principal, elle devient chemin de purification et même objet de désir pour certains saints.
1. Dire oui à la divine folie Tout se joue dans la réponse que nous opposons à l’appel démesuré de l’amour divin. Succombant à la peur, beaucoup s’arrêtent au bord de l’abîme, refusant d’aller plus avant – à l’image tragique de l’ange déchu.
Mais pour qui accepte de s’abandonner dans une confiance absolue, consentant à cette divine folie, un basculement intérieur s’opère. La souffrance perd alors son visage menaçant pour devenir chemin de purification et d’accès à une joie plus haute.
C’est le sens du « oui » prononcé par le Christ à Gethsémani : « Que ta volonté soit faite ». En dépit de sa peur humaine, Jésus choisit de s’en remettre entièrement au Père. Cet acte de remise confiante ouvre la voie douloureuse de la Passion, assumée désormais dans l’Amour.
2. La souffrance désirée dans la logique de l'amour Dès lors qu’elle est vécue dans cette logique de l’amour « excessif », la souffrance change radicalement de sens. De menace, elle devient promesse ; de répulsion, elle se mue en attraction. Tel est le mystère du désir de souffrance manifesté par nombre de saints.
À l’image de Thérèse de Lisieux refusant qu’on soulage ses vives douleurs durant son agonie, certains mystiques en viennent à savoir la souffrance désirable, comparée aux délices mêmes de l’amour divin. Car ils pressentent confusément que celle-ci recèle une intensité qui manque encore au bonheur goûté.
Ils éprouvent comme un appétit douloureux de cette ultime connaissance, à l’image d’un amant qui ne saurait trouver le repos avant d’avoir étreint l’être aimé. Ainsi s’inverse étrangement le rapport que nous entretenons d’ordinaire avec la souffrance.
Conclusion
L’analyse proposée invite à réviser en profondeur le regard spontané que nous portons sur la souffrance dans la vie spirituelle. Si celle-ci garde incontestablement une fonction purificatrice sur le chemin de sainteté, elle ne constitue pas pour autant l’obstacle principal ni le critère décisif de la fidélité divine.
Le défi central se situe ailleurs : dans l’accueil ou le refus de l’excès de l’amour divin, de sa démesure radicale. C’est face à cet abîme de l’Infini que se joue notre choix éternel. La souffrance n’est alors plus qu’un élément secondaire, tout entier relatif à la logique mystérieuse de l’Amour. | |
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