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| Sujet: Du refus à l’accueil : l’itinéraire spirituel de la créature face au Bonheur divin Sam 23 Déc 2023 - 21:11 | |
| Du refus à l’accueil : l’itinéraire spirituel de la créature face au Bonheur divin
« Au début, on a peur du bonheur infini de Dieu [...] puis on finit par avoir soif de souffrance ». Ce constat résume assez bien la trajectoire intérieure de tout être humain, mais aussi angélique, confronté au mystère de l’absolu d’amour divin. Un chemin qui, du refus initial suscité par l’effroi, peut mener à une étonnante soif de douleur, une fois franchi l’abîme de la « folie d’amour ».
Introduction
Qui n’a pas un jour, face à la perspective d’un bonheur trop grand pour soi, éprouvé une forme de peur panique ? Un recul presque physique, comme si notre nature finie ne pouvait soutenir sans dommage un tel excès de félicité ? Il en va ainsi pour beaucoup placés devant l’infinité de la béatitude divine.
Pourtant, le paradoxe des mystiques chrétiens réside dans leur soif de souffrance, qui contraste si fortement avec nos réflexes ordinaires. Comment comprendre un tel renversement ? Seul un bouleversement radical de perspective permet d’éclairer leur désir. En acceptant de franchir l’abîme de la « folie d’amour » divine, la souffrance change alors de visage et devient attirante.
I - La peur spontanée de l’excès de bonheur
Confrontés à la transcendance de l’amour divin, la plupart des hommes éprouvent un premier mouvement de peur et de refus devant un tel excès de bonheur.
1. Un bonheur perçu comme menaçant Face à la perspective d’une béatitude infinie, (« on a peur au début du bonheur de Dieu », note le texte). Non qu’elle nous apparaisse mauvaise en elle-même, mais son immensité déborde tellement notre petitesse qu’elle prend figure de danger pour notre intégrité.
Nous pressentons confuse que ce bonheur-là, dans son absolue perfection, risque de nous anéantir en tant qu’êtres finis. Sa démesure nous effraie, car elle excède tellement nos capacités naturelles de jouissance qu’elle s’apparente à une brûlure intolérable.
2. La tentation du refus protecteur Dès lors, (« on est tenté de dire : assez ! »). Par un réflexe quasi physique d’autodéfense, nous opposerons une fin de non-recevoir à l’amour divin. Invoquant la préservation de notre sécurité ontologique, nous préférerons nous arrêter au seuil de cette félicité redoutable, jugeant notre part de bonheur largement suffisante.
Qui voudrait, pour jouir davantage, prendre le risque de se perdre à jamais ? Mieux vaut selon nous renoncer aux délices infinies que de consentir à notre propre anéantissement, fût-ce dans les flammes de l’amour.
II - Le basculement dans la « folie d’amour »
Pourtant, une minorité de créatures, à l’image de Marie, choisit de franchir l’abîme malgré la peur, opérant un basculement décisif dans la « folie d’amour ».
1. Acquiescer à l’appel de l’absolu Certaines âmes héroïques parviennent à surmonter l’instinctif désir de conservation pour s’abandonner totalement à leur Créateur. Consentant à perdre tout repère et toute assurance humaine, elles acceptent de devenir « folles » d’un amour plus grand qu’elles-mêmes.
À l’exemple du Christ à Gethsémani, elles choisissent, par un « fiat » aussi douloureux que confiant, de boire jusqu’à la lie le calice de souffrance et d’aller jusqu’au bout de cet excès d’amour et de bonheur divin qui les attire et les effraie à la fois.
2. Changer de plan d’existence En prononçant ce « oui » paradoxal, la créature bascule alors intérieurement dans une autre dimension, suivant une logique autre que celle réglant ses réflexes psychologiques spontanés. Dès lors que la peur du bonheur a été surmontée, c’est toute la perception de la réalité qui s’en trouve métamorphosée.
III - La souffrance désirée dans la logique de l’amour fou
Pour qui a ainsi sombré dans « l’ivresse de la croix », acceptant la « folie » du Christ, la souffrance revêt désormais un sens nouveau, attractif plutôt que répulsif.
1. La souffrance attractive de l’amour Ayant consenti au bonheur absolu malgré l’angoisse qu’il suscitait initialement, le sujet découvre étrangement que ce bonheur recèle encore pour lui comme une dimension manquante : celle de la souffrance.
Non que la félicité éternelle soit imparfaite en elle-même. Mais par rapport à l’intensité de vie divine désormais goûtée, la douleur prend valeur de promesse : celle d’une ultime profondeur d’amour à explorer. D’où cette mystérieuse soif de souffrance manifestée par tant de saints, tel un amant altéré d’une plus parfaite union.
2. Tout change de sens Ils pressentent qu’au-delà du bonheur, c’est la souffrance qui leur révélera la face encore voilée de l’absolu d’amour auquel ils ont dit « oui ». Pour qui a changé de plan d’existence, s’étant aventuré du côté de la « folie » de la croix, les valeurs habituelles se trouvent inversées. La douleur n’est soudain plus qu’un seuil secondaire à franchir pour accéder à l’essence même de Dieu : un Amour fou, dont l’infini se donne paradoxalement dans la finitude de la Passion.
Conclusion
Ainsi s’éclaire le paradoxe de cette étrange soif de souffrance manifestée par les mystiques chrétiens. Pour qui s’est abandonné sans réserve à la transcendance de l’amour divin, la logique humaine de l’attirance et de la répulsion se trouve abrogée. La souffrance devient alors le visage nécessaire de cet absolu de bonheur et d’amour que le cœur divin n’a de cesse de vouloir nous communiquer. | |
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